Enseignement

Murielle, enseignante pour enfants non-voyants

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Entretien Depuis 10 ans, Murielle enseigne à des élèves de maternelle mal ou non-voyants. À l’école Nonneville d’Aulnay-Sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, elle offre son regard sur le monde à des bouts de choux qui, eux, se fabriquent des images mentales pour imaginer l’univers dans lequel ils évoluent. Une magnifique leçon de vie pour un entretien empli d’émotions !


« Devoir affronter quotidiennement la maladie est psychologiquement très difficile. »

Comment devient-on institutrice pour mal voyants ?

J’ai été enseignante pendant 13 ans avant de me spécialiser pendant un an en apprenant le braille. J’ai toujours été sensible aux handicaps et il m’arrivait souvent d’intégrer des enfants handicapés lorsque j’étais en maternelle disons « traditionnelle. » Il faut savoir que l’on doit scolariser tous les enfants à partir de 6 ans mais, en maternelle, ce n’est pas obligatoire. Si un enfant comporte de lourds handicaps ou des troubles importants du comportement, il est souvent difficile de l’inscrire en maternelle. C’est donc l’inspecteur d’Académie qui propose à des enseignants qu’il sait disons, plus sensibles, plus ouverts, de scolariser ces enfants. Après ces trois années en maternelle, les élèves qui ne peuvent suivre un cycle « normal » sont regroupés très souvent dans des classes spécialisées en fonction de leur handicap.

Scolariser des enfants en maternelle lorsqu’on a déjà plus de vingt élèves doit être une chose compliquée !

Dans mon école, j’étais un « problème » pour les autres. Lorsque j’ai commencé à intégrer des enfants handicapés dans ma classe, les autres enseignants se sont sentis obligés de me suivre. Il est vrai que la première fois, lorsque j’ai intégré une petite fille sourde, j’ai décidé cela sur un coup de cœur et je n’ai même pas pensé à en parler à mes collègues. Attention, je ne juge aucunement ceux ou celles qui refusent de prendre un enfant handicapé dans leur classe car c’est vraiment difficile. Il faut savoir que, dans le système scolaire traditionnel, un enseignant qui a 25 élèves et qui décide de prendre un enfant handicapé n’aura pas pour autant plus d’aides. Il faut donc vraiment avoir l’envie, la patience, le courage de le faire.

Lorsque vous intégriez un enfant handicapé dans votre classe dite « traditionnelle » aviez-vous des réflexions négatives de la part des parents d’élèves ?

Jamais ! Des soucis avec les enfants, parfois ; car il n’est pas facile d’accepter un enfant qui crie, hurle ou fait des colères comme c’est souvent le cas avec des enfants autistes, mais jamais avec les parents. Ces derniers pensaient d’ailleurs qu’il était bénéfique d’ouvrir leurs enfants à la différence. Je n’ai toujours eu que des retours positifs.

Il y a beaucoup de classes dédiées aux enfants handicapés ?

Hélas non ! En Seine-Saint-Denis où je travaille et pour une partie de la Seine-et-Marne, il n’y a que 3 classes élémentaires pour enfants déficients visuels, toutes dans mon école et deux pour le collège. Je travaille à Aulnay-sous-bois (Seine-Saint-Denis) et la mairie a toujours énormément œuvré pour les enfants handicapés depuis 30 ans.

Les enfants atteints de cécité développent-ils d’autres sens de façon plus aiguë ?

Ils sont très attentifs et entendent des choses que l’on ne perçoit pas. Ils compensent tout simplement leur handicap ! Le toucher est également très important puisque les non-voyants développent une discrimination tactile. Je lis le braille avec mes yeux mais, au toucher, mes élèves de CP vont plus vite que moi à déchiffrer, ce qui les fait beaucoup rire d’ailleurs. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, j’ai peu d’enfants nés non-voyants. La plupart sont des enfants malades, atteints de tumeurs par exemple. C’est la partie vraiment difficile de mon métier ! Se retrouver en face d’un petit bonhomme de quatre ans qui ne voit pas est toujours un moment empli d’émotions, mais devoir affronter quotidiennement la maladie est psychologiquement très difficile. Lorsque, hélas, ce sont des maladies évolutives, on a toujours peur pour la vie de l’enfant !

Vous vous occupez donc d’enfants malades, mais qui sont sortis du milieu hospitalier ?

Il est important pour ces enfants d’avoir un lien social dans un milieu scolaire, hors de l’hôpital. C’est primordial pour eux dans l’optique d’une guérison, mais très dur à gérer au niveau psychologique pour l’enseignant ! Il y a donc un aspect médical dans ce métier qui, malheureusement, n’est jamais abordé en formation. Je pensais arriver dans une classe avec des enfants mal-voyants ou aveugles, mais avec un rôle de maîtresse disons presque classique. Pas du tout ! Dans la classe, j’ai un enfant sujet aux fortes crises d’épilepsie et, un jour, j’ai été obligée de lui faire une piqûre de Valium seule avec les pompiers qui m’expliquaient comment procéder à l’autre bout du fil. Le médecin scolaire m’avait montré comment faire, mais le jour de la crise, il n’était pas là et j’ai dû agir seule. Après, le petit bonhomme est parti avec les pompiers et je me suis retrouvée à devoir continuer à faire la classe aux autres enfants. Le problème, c’est que l’on ne bénéficie d’aucun soutien psychologique et, parfois, lorsqu’on rentre chez soi le soir, c’est très compliqué à gérer émotionnellement parlant.

Comment décrit-on une fleur, un objet à un enfant qui est né non-voyant ?

Tout ce qui est très gros est difficile à matérialiser. Pour les objets, on prend des modèles réduits. Des petites voitures, des répliques d’animaux en plastiques… Mais même lorsqu’on procède de la sorte, c’estassez compliqué ! Je fais souvent du poney avec mes élèves et il y a toujours des réflexions inattendues. « Ça avance ! Ça sent drôle ! », pas comme celui en plastique que l’on a dans la classe ! Les enfants se construisent une image mentale avec un objet petit et en plastique et, lorsqu’ils sont confrontés à l’animal, ils sont souvent un peu perdus. Le plus délicat est de décrire l’immatériel, un arc-en-ciel par exemple. Ils se font un monde dans leur tête qui est souvent loin de la réalité. J’ai un petit garçon aveugle de naissance dans ma classe et, lorsque je lis des histoires, je parle souvent de couleurs. Un jour, il m’a dit que sa couleur préférée était le bleu tout simplement parce que sa maman lui a dit que son doudou était bleu. Il a créé un lien affectif rassurant avec cette couleur, mais une image complètement tronquée.

Le programme scolaire est-il différent de celui mis en place par le ministère de l’éducation ?

On suit le même programme que celui défini par l’éducation nationale, mais pas au même rythme. Lorsque l’on est déficient visuel et que l’on apprend à lire le braille, c’est beaucoup plus long qu’apprendre notre écriture. Comme les enfants restent plusieurs années dans ma classe, je reprends à la rentrée là où je me suis arrêtée au mois de juin. Tous les supports que je propose sont adaptés aux déficiences de chaque enfant (non-voyants ou mal voyants). Les déficients visuels ont des livres avec une taille d’écriture répondant à leur vue. Il faut donc retaper les livres. Il y a deux personnes dépêchées par la mairie et qui s’occupent de retaper les livres en braille ou en gros caractères.

Le système scolaire français est-il selon vous adapté pour ces enfants ?

La loi d’orientation qui a été faite sur le handicap est très généreuse. Elle dit que tous les enfants ont droit à une scolarité ordinaire donc, sur le papier, n’importe quel enfant peut rejoindre l’école choisie par ses parents y compris celle de son quartier. Avant, il y avait des instituteurs spécialisés itinérants qui allaient donner des conseils aux enseignants pour recevoir dans leur classe un enfant handicapé. Il n’y en a malheureusement plus ! Notre objectif dans les CLIS (Classe d’intégration scolaire) où je travaille est de réintégrer les enfants dans le cycle classique. À Aulnay, on le fait à mi-temps ou seulement dans les matières où les enfants ont un réel potentiel. Malheureusement, il y a toujours des enfants trop lents, au handicap trop lourd et qui auront besoin toute leur scolarité de classes spécialisées. Ces classes, il y en a hélas de moins en moins en France. Il y a dix ans, il y en avait six en Seine-Saint-Denis et, aujourd’hui, il n’y en a plus que trois. Lorsque les enfants ont besoin d’une classe avec peu d’élèves, beaucoup d’attention, des adultes pour les entourer, les envoyer dans une classe ordinaire semble difficile et fermer les classes spécialisées risque de les laisser sur le bord de la route. Le choix sera alors la classe ordinaire ou l’établissement spécialisé ! Il n’y aura plus de place pour l’éducatif, le pédagogique et c’est bien dommage.


Jean-Éric Ougier, pyrotechnicien

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