Cinema

Brigitte Guedj, doubleuse voix

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Entretien Alors que la dernière saison de Breaking Bad a enjoué les nombreux fan de la série maintes fois primée, nous avons souhaité rencontrer la comédienne française Brigitte Guedj, qui a doublé le personnage de Marie dans la 5ème saison de la célèbre série. Elle nous révèle les coulisses du métier de comédien doubleur voix.


Une rencontre fortuite avec le théâtre

A la fois danseuse de modern jazz et formatrice en programmation informatique pour IBM, Brigitte Guedj a rencontré le théâtre tout à fait par hasard. Un jour qu’elle accompagne une amie à son cours d’art dramatique Brigitte tombe sous le charme de Jacqueline Duc, une ancienne sociétaire de la comédie Française qui est montée sur les planches avec les plus grands de son époque. « Jacqueline, m’a ouvert les portes du métier. Elle a su me communiquer sa passion pour le métier de comédienne et grâce à ses activités de directrice de casting, j’ai eu l’opportunité à la fois de devenir son assistante, puis de participer à la plupart de ses créations théâtrales. Alors que je jouais Ruy Blas de Victor Hugo avec Kadour Merad et Emmanuelle Cosso (qui est devenue son épouse dans la vraie vie), Emmanuelle m’a proposé de travailler pour Ubisoft (entreprise de jeux vidéo), car elle y avait un poste au département voix. J’ai donc été engagée en tant que comédienne pour faire des voix sur le célèbre jeu Rayman. J’ai commencé par faire la voix de la fée Betilla, puis d’autres voix sur d’autres jeux. J’ai ensuite été engagée en tant que Directrice Artistique chez Ubisoft. Ce poste consiste à diriger les comédiens, à leur donner des intentions de jeu pour qu’ils soient le plus juste possible. Dans les jeux vidéo, il y a de plus en plus de cinématiques (séquences animées intermédiaires non jouables, pour appuyer le propos du jeu), ce sont de véritables scènes de cinéma ».

Savoir lire un texte est important

Au fil des expériences Brigitte travaille beaucoup pour la radio où elle exerce son métier de comédienne et lit des poésies mises en musique, ou encore participe à des dramatiques et autres fictions radiophoniques. « La lecture de textes à la radio est une excellente formation au métier de doubleur voix » insiste Brigitte. « Il faut savoir lire le texte, capter instantanément le sens de ce que l’on lit puis savoir le restituer au travers des nuances de jeu. Cette gymnastique fonctionne un peu comme pour les interprètes qui doivent simultanément lire et traduire un morceau de phrase d’une langue vers une autre tout en mémorisant les mots qui viennent juste après».

Un métier technique aux nombreuses subtilités

« Lorsque l’on arrive sur une séance de doublage, on ne sait pas à l’avance sur quoi on va travailler. Le directeur de plateau va donc nous donner des indications sur le personnage, son histoire, ce qu’il lui est arrivé juste avant, etc. Ensuite on regarde la boucle (séquence d’images dans un même décor) en lisant la bande rytmo. C’est une bande calligraphiée défilant à la vitesse du film qui permet aux comédiens d’être parfaitement synchrones avec l’image lors de l’enregistrement. Lorsque le comédien lit la boucle, il intègre également toutes les inspirations, expirations, mouvements corporels, expressions qu’il voit à l’image, pour pouvoir coller au plus près du jeu original, sans pour autant l’imiter, car la musique de la langue anglaise n’est pas celle de la langue française. Le travail préalable des calligraphes et adaptateurs est donc primordial et quand il est bien fait, il nous aide a gagner du temps. Ce que dans le métier nous appelons « monter à l’image » est une gymnastique délicate : il s’agit, lors de l’enregistrement, de faire des allers retours constants entre l’image et la bande rytmo, pour être dans la respiration du personnage, il faut un certain temps pour maîtriser cette technique. Le comédien ajoute à cela le jeu et les mouvements de corps. Si par exemple je dois doubler une jeune femme qui se fait attaquer par des zombies, il faut que je sois également dans le mouvement des attaques et dans l’intensité des cris. S’il s’agit de cris de stupeurs ou de douleur, il faut donc vraiment être dans l’image. Lorsque la boucle est lue, que le directeur artistique a donné ses indications de jeu, le comédien se place derrière la barre surplombée d’un micro, (qui garantit une prise de son homogène pour tous les acteurs) et joue la scène. Si la scène à doubler est une séquence en extérieur, les comédiens se placent dans « la cabane », un endroit du studio isolé sans écho. »

La rencontre magique avec Breaking Bad

C’est grâce au directeur de plateau Guillaume Orsat, avec lequel Brigitte travaille régulièrement qu’elle s’est vue proposer un rôle dans la quatrième saison de Breaking Bad. « C’était un petit rôle, mais une jolie séquence », se rappelle Brigitte. « C’était une scène dans laquelle Jessie débarque à l’hôpital comme un fou car il croit qu’il a malencontreusement empoisonné le fils de sa petite amie. Je devais doubler le rôle du docteur qui lui dit de se calmer et qui lui assure que le garçon va s’en sortir. A la fin de cette séquence, Guillaume m’a dit qu’il trouvait que ma voix ressemblait assez à celle de la comédienne française Florence Dumortier, qui doublait depuis les quatre premières saisons, le personnage de Marie Schrader (interprété par la comédienne américaine Betsy Brandt). Florence était une comédienne formidable et une amie. Nous avons beaucoup travaillé ensemble. Hélas, elle nous a quitté au moment ou se tournait la saison 5 aux US. Lorsque la série est arrivée en France Guillaume a alors proposé ma voix pour reprendre le flambeau de Florence. Son casting a été validé (j’y ai interprété la scène de vol des petites cuillères) et j’ai eu la joie de doubler Marie pour la cinquième et dernière saison de Breaking Bad. De plus, comme j’étais une fan invétérée de la série, c’était un véritable honneur pour moi ! Le personnage de Marie est croustillant. C’est une chieuse de première mais la partition est très intéressante à jouer. Lorsque l’on double des comédiens de talent le défi est de taille et la pression est grande. Il faut être au moins aussi bon qu’eux ! Cependant, il faut rester humble. C’est une qualité essentielle de savoir s’oublier et ne pas en faire plus que le comédien que l’on double. Notre rôle est avant tout de le servir. Betsy Brandt n’a jamais entendu sa voix doublée en français ! Pourtant nous sommes amies sur Facebook. Nous nous envoyons des petits messages et lorsque la dernière saison s’est terminée, elle m’a fait savoir qu’elle était bien triste ! » Dès que Brigitte a commencé à doubler Mary dans Breaking Bad, les choses se sont enchainées. Elle lui a également prêté sa voix dans Magic Mike (long-métrage de Steven Soderbergh), Parenthood ou encore Fairly Legal (Facing Kate). « C’est une vraie chance, car doubler la même comédienne longtemps permet d’être au plus près de son jeu, de son souffle, de son rythme, de son énergie. Cependant, certains directeurs de plateaux ne souhaitent pas toujours « utiliser » les mêmes comédiens à chaque nouvelle production. C’est leur choix et je le respecte !

Il existe un site génial qui permet de savoir « qui double qui ? ». C’est un très bon outil pour les directeurs de plateau, mais également pour les comédiens afin de partager et de mettre à jour leur voxographie : www.rsdoublage.com ».

Un métier passionnant

« J’ai eu beaucoup de chance d’avoir été engagée sur le doublage de Breaking Bad. Je me suis éclatée dans le rôle de Marie. Et Guillaume est un directeur de plateau extraordinaire, il sait mettre en confiance et ses indications de jeu sont très précises. Je m’éclate également à doubler des personnages de manga ou de dessins animés. Cela demande beaucoup d’énergie et de générosité. J’ai travaillé sur la série « Grabouillon », un dessin animé français diffusé sur France 5, réalisé par Paul Leluc et Jean-Luc François et enregistré chez Piste Rouge. J’y interprétais la Poule « Cunégonde » et « Basile » le petit garçon amoureux de Pétunia. Nous avons retrouvé nos personnages durant près de 8 années. Une aventure formidable ! Actuellement je dirige la série animée « les lapins crétins » produite par Ubisoft Motion Pictures et France Télévision, enregistrée chez Lylo et diffusée sur France 3. Nous allons terminer la première saison. Une saison 2 est en négociation. Je croise les doigts ! »

Le doublage voix ne s’improvise pas

Pour Brigitte, ce métier ne s’improvise pas. « Il faut avant tout être comédien ! Bien sûr, la partie synchronisme compte, mais la partie jeu c’est toutefois 80% du travail ! De nombreuses écoles de doublage ont vu le jour récemment et promettent monts et merveilles. Cela peut aider de faire une école, mais elle ne trouvera pas du travail au futur doubleur voix. C’est un métier difficile. Il faut faire ses armes sur le terrain et le mieux est encore de se faire connaître auprès de directeurs de plateau qui accueillent volontiers les jeunes comédiens qui souhaitent connaître la finesse du métier. C’est comme cela que j’ai commencé, d’ailleurs, j’ai passé des journées entières en studio à assister, à écouter et à m’entrainer en silence avant qu’on finisse par me proposer des essais ! »


Simone Zanoni, chef étoilé du restaurant Le George
Didier Prince-Agbodjan, président de Terre des Hommes France

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